C'était un joli jour de novembre sur Nicobar. Il faisait, comme toujours dans ce petit coin d’Océanie, un temps magnifique, sans un nuage en vue. Pourtant Noé se sentait triste et nostalgique. Sa Normandie natale lui manquait terriblement, ses pâturages, sa côte de Nacre, les petits nougats qu'il dévorait avec délice à tout moment de la journée... Mais rapidement Naëlle, sa belle naïade pour qui il avait tout quitté, revenait à son esprit. Ils s'étaient rencontrés au bord de l'étang aux Nymphéas, à Giverny. Malgré la nuée de touristes qui s'entassaient-là pour tenter de photographier les quelques nénuphars qui résistaient tant bien que mal à un climat peu propice, il n'avait vu qu'elle, sa nymphe, l'amour de sa vie. Quand il avait appris qu'elle habitait dans l'hémisphère austral, il n'avait pas hésité un seul instant à l'y rejoindre.
Cela faisait maintenant six mois qu'ils vivaient ensemble sur cette petite île paradisiaque. Mais malgré le soleil incessant, la beauté du lagon, Noé s'ennuyait. Il avait l'impression de devenir neurasthénique tant il se sentait enfermé dans cette petite cage dorée. Il aimait Naëlle, profondément. Mais cette petite nymphette avait grandi dans une famille nantie et il était notoire qu'elle n'y avait jamais reçu aucune règle. Vivre avec elle n'était pas toujours le nec-plus-ultra. Elle était souvent capricieuse, parfois même narquoise. Mais elle avait énormément de cœur et chamboulait le sien dès qu'elle lui souriait.
Naëlle avait décidé ce jour-là de prendre la mer à bord du petit navire qu'un neveu de son grand-père lui avait légué. Elle adorait les sports nautiques, la voile notamment, mais ne connaissait pas grand chose à cette petite navette à moteur. Quand elle fit part de son projet à Noé, celui-ci la mit immédiatement en garde.
- As tu pensé à vérifier les niveaux ? Il ne s'agirait pas que nous tombions en panne en pleine mer !
Mais la petite naïade n'allait nullement renoncer à son projet pour d'infimes détails techniques et répondit avec nonchalance que tout était nickel. A eux l'ivresse de la nature!
Ils prirent la mer en début d'après-midi sous un soleil radieux. Après avoir franchit la barrière de corail, l'immensité de l'océan indien s'offrait à eux.
- Où veux-tu aller ? s'enquit Noé.
- A l'île aux Flamboyants ! On y sera tranquille, il n'y a jamais personne là-bas.
L'île aux Flamboyants était en réalité un petit îlot au centre duquel régnait une forêt luxuriante parsemée de ces arbres aux fleurs écarlates. Ils mirent donc le cap sur ce petit paradis où ils ancrèrent le bateau moins d'une heure plus tard. La navigation était un art que Noé maîtrisait parfaitement.
Tandis que Naëlle paressait nonchalamment à l'avant du bateau, laissant le soleil teinter sa peau d'une jolie couleur ambrée, Noé l'observait, songeur. Elle avait emporté l'objet de son dernier caprice, « Les nymphéas noirs». Elle voulait ce livre absolument depuis qu'elle en avait lu l'éloge dans je-ne-sais quel magazine, mais arriver à se le procurer dans leur petit coin de paradis s'était avéré un véritable exploit. Depuis, elle l'avait complètement négligé et n'en avait jamais lu une seule page... Il laissa échapper un soupir et lui demanda :
- Tu viens nager avec moi ?
- Non, j'ai un peu la nausée, je préfère rester ici !
A cette remarque, Noé leva les yeux aux ciels et s'aperçut que l'horizon commençait à s'obscurcir. Des nuages noirs s'amoncelaient, signe d'un gros grain à venir.
- On ferait mieux de se dépêcher de rentrer !
- Oh non, pas déjà, répondit Naëlle qui ne souciait décidément jamais de rien.
Mais plus le temps passait, plus le ciel noircissait. Le vent s'était levé et il commençait à pleuvoir.
- Tu as raison, rentrons-vite, dit-elle à son nabab.
Mais lorsque celui-ci voulu remettre le moteur en marche, il s'aperçut que le réservoir d'essence était presque vide et qu'il leur serait impossible de rejoindre Nancowry dans ces conditions.
- Tu n'as pas fait le plein d'essence, demanda-t-il interloqué à sa jolie nymphe qui semblait de plus en plus nerveuse.
- Non ! Mais tu ne m'a jamais dit qu'il fallait le faire !
- Tu te fiches de moi, nigaude ?
Mais il avait plus urgent à faire que laisser libre cours à sa colère.
- Viens, on va s'abriter dans la forêt le temps que l'orage passe.
Il la prit par la main et ils rejoignirent en toute hâte l'abris du sous-bois.
- Maintenant, arrête de me narguer et explique moi pourquoi tu n'as pas vérifier le niveau du réservoir d'essence!
Elle ne répondit pas.
- Te rends tu compte de la situation dans laquelle nous place ta négligence?, rajouta-t-il en tirant sa natte en arrière pour qu'elle le regarde dans les yeux.
- Jamais nous ne pourrons rentrer à la maison!
- Mais j'ai faim, nous devons rentrer!, répondit-elle affolée.
- Tu ne trouveras rien à manger ici, ni noix, ni noisette, ni nèfle, rien!
La nuque de Naëlle commençait à trembler et des larmes mouillaient ses yeux, mais Noé n'en avait que faire. Il était furieux. Il était temps qu'il mette un terme à ce comportement narcissique et si néfaste qui la caractérisait. Naguère, il s'en accommodait, mais en souffrait néanmoins. A présent, il ne voulait plus vivre dans cet environnement nébuleux ou aucune nécessité ne comptait si ce n'est celle de son nombril. Il ne se comporterait plus niaisement avec elle, n'accepterait plus de négocier ses moindres caprices et ne supporterait plus ses crises de nerfs. Il l'aimait, mais il était nécessaire de nettoyer tout ce qui était nocif pour que leur amour retrouve sa noblesse et que cesse ces non-sens qui le rendaient quantité négligeable. Même s'il était normalement un fervent défenseur de la non-violence, il était navré de reconnaître qu'il s'était fourvoyé. Cette demoiselle avait notablement besoin d'autorité et il le lui notifia sans nuance.
- Il n'est plus question que je laisse passer la moindre de tes négligences et tu vas être sévèrement punie pour celle-là !
Il tourna les talons et alla cueillir une branche qui, même si elle n'était pas de noisetier, lui semblait avoir la souplesse nécessaire au dessein qu'il avait en tête. Quand elle le vit revenir, l'instrument en main, l'estomac de Naëlle se noua.
- Déshabille toi! Je te veux complètement nue!
Elle obéit sans chercher, nià nier sa faute, ni à s'opposer à ses conséquences. Elle ne réalisait pas vraiment ce qui allait se passer et ce n'est qu'au moment où la badine se mit à dessiner des nervures écarlates sur la peau de ses fesses qu'elle réalisa que plus jamais elle ne pourrait jouer les Narcisses. Noé ne négligea aucune parcelle et ce n'est que lorsque les fesses nacrées de sa belle ressemblèrent à un nèfle trop mûr qu'il mit fin au châtiment.
Naëlle, en pleurs, vint se nicher dans les bras qu'il lui tendait et y resta blottie jusqu'à la nuit tombée. L'orage était passé mais la température de l'air avait chuté et elle grelottait.
- Viens, je vais faire un feu sur la plage! Ça te réchauffera. Et puis, qui sait, peut-être qu'un bateau passant au large nous remarquera?
Naëlle ne répondit pas. Mais quand elle vit le feu rougeoyer, elle réalisa la force de son amour pour celui qui savait, au fond, si bien enflammer les choses...